"A la fois matière brute et maîtrisée, à la croisée de la nature et de l'architecture, les carrières restent souvent en dehors de notre champ de vision et du territoire exploré par l'art. Depuis quelques années, Gaëtan Chevrier (photographe), Jérôme Maillet (artiste-sérigraphe) et Tangui Robert (architecte-artiste), ont fait de ce thème leur terrain de création commun.
En 2018, pour leur première exposition, ils posent leurs trois regards sur un même lieu, la carrière de talc de Trimouns (Pyrénées). De cette montagne, naîtra le nom de leur collectif : Versants. Bien vite, l'expérience unique se transforme en aventure au long cours. Plutôt que de juxtaposer leurs œuvres, pourquoi ne pas créer ensemble ? Ils partent alors en quête, non seulement de sites d'extraction mais aussi de pratiques artistiques renouvelées. Désormais, si des pièces individuelles côtoient les travaux communs, c'est que cela fait partie des protocoles choisis pour le projet. Car chaque lieu investi implique une nouvelle manière de penser et les amène à réinventer les règles du jeu. Du plus petit caillou à l'immense bloc, ils explorent les multiples échelles et particularités de ces paysages que l'on regarde peu.
Des Pyrénées au Portugal en remontant par les Pays de la Loire, les carrières visitées ne les intéressent pas précisément pour leur fonction ou leur histoire mais pour leur potentiel artistique. Arpenter les lieux déclenche des idées, qui les amènent parfois à intervenir in situ. De retour à l'atelier, commence un temps de maturation. Les photographies, notes et croquis faits sur place ravivent l'atmosphère des lieux et servent de points de départ aux expérimentations. Peu à peu, les trois artistes tirent les fils de leur pensée, transforment les intuitions en créations.
L'enjeu de Versants n'est pas de donner une image complète et réaliste de la carrière choisie. De la même manière qu'ils en ramènent parfois des fragments de roche, Gaëtan Chevrier, Jérôme Maillet et Tangui Robert en récoltent des couleurs, des sensations, s'attardent sur une masse, un vide, une saillie, une faille, fascinés par une ligne de force ou un jeu de transparences. Rapidement, la sérigraphie devient leur support commun. Strate après strate, chaque œuvre se forme, comme par une excavation inversée. Ils testent les matériaux, les formes et les couleurs. Parfois, chacun expérimente de son côté et ramène un dessin qui servira de matériau pour une composition commune. Ensemble, ils explorent les notions de prélèvement, de résidu, de paysage utilitaire... Autour de la presse, les tâches se répartissent, les rôles tournent. Les doutes aussi. On s'interroge, se recentre, se rassure. A trois, on ne se décourage jamais en même temps.
Œuvrer à plusieurs sur une même matière est à la fois une limite et une liberté, un espace plus inattendu dans lequel sortir de ses habitudes. Chacun, dans son travail personnel, est plutôt attaché à la réalité. Créer ensemble, c'est parcourir la crête qui sépare la maîtrise et l'inconnu. Même si un paysage n'est jamais neutre, toujours traversé par des enjeux économiques ou écologiques, ils s'écartent ici de ces problématiques pour développer un univers poétique singulier. Contrairement aux exploitants, les artistes de Versants ne font pas usage des pierres restées dans ces lieux abandonnés ; ils les détournent de leur destin figé."
Pascaline Vallée